Travaux dirigés, classe inversée motivation et sens

J'ai souvent été interpelée par la question du sens à donner aux travaux dirigés demandés aux étudiants et à la manière de les valoriser dans le parcours estudiantin. 

Ces questions ont resurgi récemment lors d'un échange avec une ancienne collègue et cette discussion a inspiré le billet de ce jour qui m'amène à aborder la question des travaux dirigés et de la classe inversée ou pédagogie inversée.

Dans ce billet, je répondrai successivement à trois questions :

  • Quelle est la place des travaux dirigés dans le scénario pédagogique ? 
  • Qu'est-ce que la pédagogie inversée ? et comment les travaux dirigés s'intègrent-ils dans cette approche ?
  • Faut-il valoriser la réalisation des travaux dirigés dans le dispositif d'évaluation ? et si oui, comment ? 


La première question à se poser à propos des travaux dirigés est celle de leur place dans le scenario (ou dispositif) pédagogique : sont-ils incontournables, obligatoires ou ont-ils un caractère facultatif, complémentaire dans votre scenario ? La valeur donnée à ces travaux dépend de la réponse à cette question.


Cela m'amène à aborder la notion de classe inversée (ou pédagogie inversée, voir à ce sujet la présentation du livre de Dumont et Berthiaume dans la rubrique coups de coeur). Dans une pédagogie inversée, les travaux dirigés ont une place prépondérante puisqu'ils constituent la partie préparatoire au cours, à réaliser à domicile avant ce dernier. Ils ont donc un caractère obligatoire et les étudiants qui ne les ont pas réalisés devraient être "perdus" lors du cours voire devraient être exclus du cours. 


Mais de quoi parle-t-on, précisément, lorsqu'on parle de classe inversée ? qu'est-ce qui est inversé ?


Selon les auteurs, deux visions (au moins) de la pédagogie inversées co-existent et précisent ce qui est inversé :

En ce qui me concerne, je considère que la pédagogie inversée constitue une inversion des séquences pédagogiques qui peut prendre la forme d'une inversion des rôles, mais qui ne la prend pas automatiquement.  La pédagogie inversée est née dans les années 1990 et a été résumée un peu plus tard par ce slogan "Lectures at Home and Homeword in Class" (Lebrun, in Dumont & Berthiaume, 2016, p.15).

Dans cette optique, les travaux dirigés peuvent prendre différentes formes, mais ils doivent permettre aux étudiants d'étudier les savoirs qui seront mobilisés lors du cours. Ils prendront donc souvent la forme de lectures préparatoires ou de visionnement de conférences-vidéos. Une consigne, des questions ou un problème-une énigme à résoudre guideront favorablement les étudiants dans leur travail et donneront un sens à leur étude. Mettez-vous brièvement à la place d'un étudiant; qu'est-ce qui vous motive le plus : devoir lire un document d'une vingtaine de pages ou écouter une vidéo de 45 minutes sans orientation particulière ou devoir répondre à quelques questions ou résoudre une énigme grâce à cette lecture ou à cette vidéo ? Personnellement, je suis davantage motivée et je me sens guidée dans mon travail par la seconde option. 

Vient ensuite le cours, et c'est là que tout se joue! En quoi le cours apporte-t-il une réelle plus value à l'étude du savoir réalisée par les travaux dirigés ? Il est certain que, si le cours ne fait que transmettre autrement le savoir qui a été abordé par l'étude personnelle, les étudiants seront rapidement démotivés soit par le travail dirigé, soit par le cours lui-même. Le défi est donc de changer de niveau lors du cours et d'appuyer ce dernier sur les travaux préalables. En ce sens, la pédagogie inversée permet à l'enseignant de consacrer du temps à la mobilisation des savoirs, à leur synthèse critique, à leur transfert, ce qui n'est guère possible lorsque l'essentiel du temps de cours est consacré à la transmission des savoirs. Et c'est pourquoi je rêve de programmes de formation généralisant la classe inversée, car aujourd'hui, ce n'est pas l'accès aux savoirs qui est difficile pour les apprenants, tout est à leur portée; ce qui est difficle c'est, entre autres, le tri des sources fiables et non fiables, la distinction des éléments nécessaires et pertinents des éléments accessoires ou superflus, l'utilisation du savoir pour raisonner, prendre des décisions cliniques ou pour intervenir.

Dans cette approche, les travaux dirigés, ou travaux préparatoires n'ont pas besoin d'être évalués par l'enseignant, les éléments d'incompréhension ou les éléments incorrects seront précisés et rectifiiés pendant la séquence de cours, dans les échanges entre pairs et avec l'enseignant.


Dans une approche plus classique, les travaux dirigés peuvent faire suite à un cours, une conférence (transmission de savoirs) et prendre la forme d'une mobilisation des savoirs acquis en cours, d'une aide à la préparation de l'examen ou de la validation du module ou du cours. Dans cette perspective, les travaux dirigés peuvent être obligatoires ou facultatifs. Les étudiants doivent recevoir un feed-back quant à la qualité de leur travail, par un enseignant, un assistant ou un pair, ou ils doivent avoir les moyens de s'auto-corriger. 


La dernière question, qui m'a été souvent posée lorsque j'étais doyenne, est celle de la valorisation des travaux dirigés dans le processus d'évaluation du module ou du cours. Faut-il attribuer des points à la réalisation des travaux dirigés ? Font-ils partie intégrante de la note finale ? Permettent-ils d'obtenir des points bonus intégrés à la note finale ? L'argument le plus fréquemment évoqué pour répondre oui à ces questions et celui de la motivation des étudiants, qui - parfois ou souvent, à vous de choisir - travaillent essentiellement ou exclusivement pour l'examen ou la validation. Il y a plusieurs manières de répondre à cette question.

  • Dans une pédagogie inversée bien conçue, le sens des travaux dirigés devraient très vite apparaître aux étudiants et il ne me semble pas nécessaire de valoriser ces travaux dans la validation du module, par exemple. Les travaux dirigés font partie intégrante du scenario pédagogique, donc du cours. Il faudra certainement un peu de temps pour que l'ensemble des étudiants comprennent l'importance de réaliser ces travaux préparatoires, moyennant les bonnes attitudes vis à vis des étudiants qui ne réalisent pas ces travaux. (voir Allin, 2022, pp.94-97). Il n'est donc pas nécessaire, pour motiver les étudiants, d'utiliser la carotte et d'attribuer des points aux travaux préparatoires. Rien n'empêche toutefois d'imaginer une évaluation continue du module et d'intégrer toutes les productions des étudiants dans la validation, comme dans un portfolio par exemple (Poumay, pp. 189-212, in Poumay,  et al. 2017) 
  • Dans une pédagogie plus classique, dans laquelle les travaux dirigés interviennent après le cours, il est également possible d'envisager une évaluation continue, si les  travaux dirigés présentent un caractère obligatoire.
  • Si les travaux dirigés sont facultatifs, il est possible d'attribuer des points bonus aux étudiants qui les réalisent - en guise d'encouragement - moyennant une évaluation de la qualité de leur production. Ces points bonus peuvent améliorer la note finale, par exemple dans le cas d'un examen ou d'un travail écrit à rendre. Ce n'est toutefois pas une obligation, tout dépend de la maturité des étudiants et de la pertinence des travaux que vous leur proposez. Si ces travaux participent à préparer l'examen, la réussite de ce dernier constitue une motivation suffisante.


Pour conclure

La condition'essentielle, pour favoriser l'implication des étudiants dans les travaux dirigés, c'est la pertinence et la cohérence des travaux que vous leur demandez ainsi que leur imbrication dans le scenario pédagogique. Plus ces travaux seront intégrés de manière cohérente dans le cours, mieux les étudiants les réaliseront et en comprendront le sens. En matière de travaux dirigés, le pire scenario, c'est celui dans lequel le travail des étudiants n'apporte aucune plus value au cours (ou le cours n'apporte aucune plus value au travail réalisé). Par exemple, le scenario dans lequel une lecture préparatoire est demandée aux étudiants et dans lequel le cours n'apporte aucun élément supplémentaire ou dans lequel l'enseignant résume les points clés de la lecture pour les étudiants qui n'auraient pas lu... 


Références

Allin, A.C. (2022). Bien maîtriser ses gammes pour improviser. Fondements et innovations pédagogiques en formation infirmière. Lausanne : La Source.

Dumont, A. & Berthiaume, D. (2016). (Dir). La pédagogie inversée, enseigner autrement dans le supérieur avec la classe inversée. Bruxelles : De Boeck Supérieur.

Ladage, C. (2016). L'hybridation dans l'enseignement universitaire pour repenser l'articulation entre cours magistraux et travaux dirigés. Revue internationale de pédagogie de l'enseignement supérieur. https://doi.org/10.4000/ripes.1067

Poumay, M, Tardif, J. & Georges, F. (2017). Organiser la formation à partir de compétences, un pari gagnant pour l'apprentissage dans le supérieur. Bruxelles : De Boeck supérieur.