15. sept., 2022
Il y a quelques mois, alors que je buvais un café à la cafétéria, une collègue est arrivée dépitée; elle était en pause alors qu'elle coordonnait un module à option du cinquième semestre. Elle nous raconte que les étudiants sont totalement désintéressés et désengagés - ce qui n'est pas tout à fait pareil -, qu'ils ne participent nullement aux interactions souhaitées par l'intervenant externe. C'est pourtant un module qu'ils ont choisi, qui est habituellement très apprécié pour lequel, les intervenants et elle proposent des contenus et des activités très variées.
Vous êtes-vous déjà trouvé dans une telle situation ? Je suis persuadée que oui car cela arrive aux meilleurs! Et c'est d'autant plus déprimant que vous avez mis toute votre énergie et toute votre créativité dans ce cours.
Dés lors, que faire ? Au delà des réponses primaires - faire comme si de rien n'était et terminer son cours sans interaction ou raccourcir le cours et libérer les étudiants qui sont définitivement pas en forme aujourd'hui, cela peut arriver - on peut imaginer d'autres solutions.
La première est le dialogue avec les étudiants : chercher à savoir ce qui se passe. Ont-ils un examen prochainement qui les stresse ? ont-ils reçu des résultats de validation qui les déprime ? sont-ils à la veille de partir en stage et le sujet du cours ne correspond pas du tout à leurs préoccupations ? Si l'une des réponses est oui, vous avez votre explication, - ce qui n'équivaut pas à une excuse - mais il est possible que, lorsque les étudiants auront pu poser leur préoccupation, vous pourrez récupérer leur intérêt et leur participation. Ces premières hypothèses étant écartées, on ira plus loin dans la recherche d'explication :
Cette liste de questions n'est pas exhaustives. A vous de la compléter, mais un temps de régulation avec les étudiants pour aborder ces questions est souvent indispensable pour modifier la dynamique du cours. Pour favoriser l'expression des étudiants, il sera probablement nécessaire d'utiliser quelques stratagèmes, car il est difficile, pour des étudiants, de prendre la parole dans de telles situations, surtout dans des grands groupes. On utilisera, par exemple, le televoting qui respecte l'anonymat de celui qui s'exprime, ou on proposera d'abord une réflexion en tandem ou en petits groupes (sans déplacement pour éviter une perte de temps) car cela permet de confronter son opinion à quelques personnes et donc d'en évaluer la pertinence ou la concordance, avant de l'exposer devant la classe.
Une fois que la situation est plus claire, il s'agira de remédier aux difficultés des étudiants, donc, pour l'enseignant, être prêt à modifier la suite de son cours. Selon les cas, il peut être difficile, voire impossible de réajuster le cours dans l'immédiat, les étudiants le comprendront aisément et seront tout à fait d'accord de répondre aux attentes de l'enseignant si ce dernier s'engage à tenir compte de ce qu'il a entendu pour les cours suivants. En fonction des questions précédentes, comment modifier son scénario pédagogique ou son attitude ?
Je suis persuadée que vous trouverez de nombreux autres moyens de dépasser les difficultés des étudiants une fois que vous les aurez identifiées, ce ne sont là que quelques exemples. L'essentiel est de savoir ce qui pose problème aux étudiants et de ne pas sur-interpréter leur désengagement.
Pour éviter - au maximum, on ne peut jamais l'éviter complètement - de se trouver dans une situation de désengagement des étudiants, quelques pistes peuvent être favorables. Comme dit Claire - enseignante novice dans le podcast du pédagoscope du 21 octobre 2021 - et j'aime bien cette expression, il s'agit de proposer aux étudiants un cours à vivre et non pas un cours à suivre, autrement dit un cours qui favorise leur activité et leur engagement. Si vous proposez à vos étudiants un long discours, même bien structuré, soutenu par un powerpoint chargé et que vous leur proposez un seul moment d'échanges à la fin du cours, il y a fort à parier que vous aurez très peu d'interaction.
Comment concevoir un cours à vivre ? Quelques pistes, non exhaustives, à tester :
Pour conclure, j'aimerais mettre l'accent sur le dialogue avec les étudiants. Si vous suscitez ce dialogue dans des situations de désengagement, si vous ne fermez pas les yeux et poursuivez votre cours comme si de rien était - ce que j'ai malheureusement trop souvent vu et qui est inutile, sauf à donner bonne conscience à l'enseignant - alors la dynamique va changer automatiquement et vous gagnerez le respect des étudiants, même si vous n'arrivez pas d'emblée à modifier votre approche. Par ailleurs, signifier que vous n'acceptez pas un comportement de désengagement, collectif et à long terme - car il peut arriver à tout un chacun de ne pas être en forme un jour - c'est montrer aux étudiants que vous croyez en leur potentiel. Meirieu (1996) - eh oui, encore lui, il m'a beaucoup appris - affirmait "Et je sais bien tout ce que porte de difficultés le fait de devoir lier constamment ces deux principes : exiger le meilleur... et accepter le pire... sans pour autant renoncer à exiger le meilleur" (p. 73) Ne pas accepter le désengagement des étudiants, être authentique dans la relation et dire sa déception parfois, c'est une manière d'exiger le meilleur!
Références
Allin,A.C. (2022). Bien maîtriser ses gammes pour improviser, fondements et innovations pédagogiques en formation infirmière. Lausanne : La Source.
Dumont, A. & Berthiaume, D. (2016). (Dir). La pédagogie inversée, enseigner autrement dans le supérieur avec la classe inversée. Bruxelles : De Boeck Supérieur.
Meirieu, P. (1996) Frankenstein pédagogue. Paris : ESF
Pédagoscope.ch : podcast du 19.10.2021.
Vygotsky, L. (1985). Pensée et langage. Paris : Editions Sociale/Messidor.