Faut-il supprimer le cours magistral ?

J'emprunte le titre de ce billet à un article de Meirieu paru en 1997 dans les Cahiers Pédagogiques.


Le cours magistral est largement utilisé dans les formations du supérieur et ce, malgré l'abondance des discours à propos des méthodes actives et de leur impact plus important sur l'apprentissage. Qu'en penser ? Faut-il bannir le cours magistral de nos formations ? 


Pour répondre à cette question, je reviendrai brièvement sur les origines du cours magistral, puis sur ses avantages et inconvénients, pour terminer par quelques pistes d'amélioration et d'enrichissement du cours magistral.

Pour commencer, arrêtons-nous brièvement sur les origines du cours magistral. 


Le cours magistral est un format d'enseignement universitaire largement utilisé dans l'enseignement supérieur. Son origine remonte à l'Europe médiévale, où les maîtres enseignaient aux étudiants dans les universités les plus anciennes. Le cours magistral est caractérisé par un enseignant-expert qui transmet des connaissances à un grand groupe d'étudiants à l'aide de présentations orales. Bien que ce format ait évolué au fil des siècles, il reste une méthode essentielle pour transmettre des informations de base dans de nombreuses disciplines universitaires. Les enseignants du supérieur continuent d'utiliser le cours magistral pour partager leur savoir-faire et leur expertise avec leurs étudiants. (paragraphe rédigé par l'IA, il faut vivre avec son temps!)


Le cours magistral s'est généralisé à l'enseignement secondaire il y a environ trois siècles, selon Meirieu (1997). Au début, seules quelques heures hebdomadaires privilégiaient le cours magistral, une large part du temps étant consacrée à l'étude individuelle sous la supervision du maître; ce n'est qu'au début du 20ème siècle, que le cours magistral est devenu dominant même dans les lycées et les collèges. Malgré toutes les recherches concernant le processus d'apprentissage et les méthodes actives, le cours magistral reste largement utilisé. Meirieu (1997) donne deux explications à cette prédominance :

  • Premièrement, le cours magistral supporte et structure le rapport de l'enseignant au savoir qu'il enseigne. Il a donc, prioritairement, "une fonction personnelle à dimension fonctionnelle et narcissique pour l'enseignant lui-même".


       La parole fonctionne ici comme une manière d'investir ses propres connaissances en les exposant,

de les maîtriser en les communiquant, de se les approprier et de les conserver vivantes par l'exigence

même de leur transmission ordonnée. Le cours magistral est d'abord utile pour l'enseignant,

pour qu'il reste maître de ses savoirs d'une part et pour qu'il jouisse du plaisir de cette maîtrise d'autre part.

Meirieu, 1997, p.11)


  • Deuxièmement, le système éducatif est lui aussi soumis à l'accélaration généralisée et à la pression de l'efficacité technocratique. Le cours magistral est l'approche permettant d'aborder un grand nombre de contenus en un minimum de temps. Il répond donc à cette exigence d'efficacité, pour autant que l'on s'arrête à la seule exposition des savoirs et aucunement à leur intégration par les élèves ou les étudiants. 


Avantages du cours magistral


Le cours magistral présente-t-il des avantages et si oui lesquels ?

Nous venons d'en présenter un d'importance, à savoir le rapport coût-efficacité. En effet le cours magistral permet de transmettre un grand nombre de contenus en un minimum de temps à un grand nombre d'étudiants en même temps. En énonçant cela, on comprend aisément que ce format d'enseignement soit dominant dans les formations supérieures. Que demander de plus ? Surtout lorsque l'on connaît l'appétence des enseignants pour les contenus (voir, entre autres,  mon billet à propos de la place des contenus dans la formation). Cette efficacité est toutefois une efficacité de surface et dès lors que l'on s'intéresse à l'appropriation des savoirs, l'efficacité du cours magistral en prend pour son grade! Giordan (référence inconnue) avait l'habitude de préciser que le cours magistral est la manière la plus efficace d'enseigner pour autant que les étudiants partagent les mêmes pré-requis que l'enseignant d'une part et se posent les mêmes questions d'autre part. Voilà une condition fort restrictive et difficile à garantir dans des auditoires de 200 étudiants! 


Masson (2020), dans son livre sur les principes neuro-éducatifs, relève le même avantage (présenter beaucoup d'informations en peu de temps), les approches actives nécessitant plus de temps pour la même quantité d'informations). Il ajoute un autre avantage qui est l'activation, chez un apprenant attentif (condition essentielle), "des idées et des stratégies les plus appropriées à l'apprentissage visé, évitant l'activation et le renforcement de réseaux de neurones associés à des idées erronées ou des stratégies inefficaces pouvant nuire, voire empêcher certains apprentissages." (p 35).


J'ajoute un troisième avantage: si l'enseignant jouit du plaisir de la maîtrise des savoirs lorsqu'il les expose aux étudiants, il peut alors partager avec ces derniers ce plaisir et leur donner envie d'atteindre eux aussi un niveau de maîtrise leur apportant ce plaisir. 


En résumé le cours magistral présente trois avantages :

  • Un rapport coût-efficacité favorable; moyennant un certain nombre de conditions (j'y reviendrai dans la dernière section) pour que cette efficacité soit réelle pour les apprenants. 
  • Une activation des neurones pertinents pour l'apprentissage visé et un non-renforcement des réseaux neuronaux associés à des idées erronées ou des stratégies inefficaces.
  • Un partage du plaisir lié à la maîtrise des savoirs. 



Inconvénients du cours magistral


Les inconvénients du cours magistral peuvent facilement être déduits de ce qui précède. 


Premièrement, selon Meirieu, il est davantage au service de l'enseignant qu'au service de l'apprentissage des étudiants. En effet, et tout enseignant l'a expérimenté, le savoir n'est jamais aussi clair et structuré que lorsqu'il est objet d'un enseignement. Autrement dit, pour bien apprendre, il faut enseigner! Les étudiants n'ayant pas cette opportunité pendant un cours magistral, la transmission des connaissances de l'enseignant-expert n'aura probablement qu'une portée limitée sur leurs apprentissages. 

Deuxièmement, sur un plan neuroscientifique, le cours magistral est une approche passive qui est associée à une plus faible probabilité d'activation neuronale, selon le premier principe neuroéducatif de Masson (2020, pp 23-43) que les approches actives. Selon Masson (2020), "mieux vaut donc éviter de recourir à ce type d'approche trop fréquemment" (p 35). 



Comment améliorer l'efficacité d'un cours magistral?


Sachant que, pour les raisons d'efficacité mentionnées ci-dessus, autrement dit pour des raisons liées aux coûts de la formation et au narcissisme des enseignants (😉), le cours magistral va continuer à se trouver dans le top 5 des approches pédagogiques utilisées en enseignement supérieur (j'aurais probablement pu écrire dans le top 3), comment en améliorer l'efficacité sur le processus d'apprentissage des étudiants ? Ci-dessous, vous trouverez quelques pistes que vous pourrez certainement compléter par vos propres expériences.

























Pistes d'enrichissement d'un cours magistral


  • Varier les approches pédagogiques et ne pas considérer l'exposé magistral comme seule approche possible.
  • Commencer le cours par l'exposé des questions auxquelles il est censé répondre. Ne pas hésiter à répéter ces questions à des moments stratégiques.
  • Tenir compte des capacités d'attention des étudiants et ne pas présenter des exposés trop longs sans pauses, que ces dernières soient réflexives ou distrayantes.
  • Proposer des activités réflexives aux étudiants pendant le cours magistral (par exemple : répondre à quelques questions sur ce qui vient d'être présenté, élaborer une synthèse des éléments du cours, discuter une application des connaissances à deux ou à trois, préparer des questions à poser à l'enseignant en fin de cours ou en fin de séquence, également à deux ou à trois. Proposer entre autres des activités d'élaboration d'explications dans lesquels un étudiant, à tour de rôle, joue le rôle d'enseignant et un autre celui d'apprenant selon le 4ème principe neuroéducatif de Masson (2020, pp 87-107)
  • Donner du feed-back concernant les activités susmentionnées afin d'éviter de renforcer des conceptions erronées; par exemple en utilisant les outils de télévoting et en rectifiant les réponses incorrectes et en ré-expliquant ou en demandant à un étudiant ayant donné la réponse correcte d'expliquer avec ses propres mots. 
  • Proposer des activités  d'intégration, d'assimilation ou d'application post cours (étude de cas, résolution de problèmes par exemple).
  • Remobiliser des connaissances préalables en début de cours ou de séquence. Demander aux étudiants de s'entraîner à récupérer en mémoire les connaissances préalables, selon le 3ème principe neuroéducatif de Masson (2020, pp  67-86)
  • Montrer son enthousiame et son plaisir à maîtriser les savoirs.
  • ... à vous de compléter cette liste non exhaustive.


Si vous avez des expériences intéressantes à partager à propos de "cours magistraux enrichis", n'hésitez pas à me les envoyer via le formulaire de contact; si vous êtes plusieurs à le faire, je rédigerai un un billet complémentaire. 


Vous l'aurez constaté, j'ai cité trois des sept principes neuroéducatifs présentés dans le livre de Masson (2020). Je présenterai prochainement cet ouvrage dans mes coups de coeur.




Références

Meirieu, P. (1997) Faut-il supprimer le cours magistral ? Cahiers pédagogiques no 336, septempre 1997, pp. 10 à 11. Repéré à :

http://www.foti.ch/TravGrMeirieu.pdf

Meirieu, P. (2021). Dictionnaire inattendu de pédagogie. Paris : ESF.

Masson, S. (2020). Activer ses neurones pour mieux apprendre et enseigner. Paris : Odile Jacob.