Former : interroger, choisir et développer sa posture

Que l'on soit enseignant, praticien-formateur, référent de stage, il importe de s'interroger sur sa posture d'encadrement et de la développer, ce qui passe par un certain nombre de réflexions liées à la posture professionnelle, pédagogique, relationnelle, ou encore d'évaluation.

Cette réflexion est nécessaire lorsque l'on débute dans un rôle lié à la formation, mais elle est utile tout au long de sa carrière. S'interroger sur sa posture amène à faire des choix en toute conscience.

C'est l'objet de ce billet. 

Celui ou celle qui se destine à former, a fortiori dans les milieux cliniques, doit d'abord s'interroger sur sa posture professionnelle. Quelle est ma vision, ma conception du rôle professionnel que j'entends partager avec les étudiants ? est-ce qu'elle correspond à celle qui est véhiculée dans mon institution (institution de formation, milieu clinique) ? En quoi diffère-t-elle et quel est l'impact de cette différence sur mon encadrement ? C'est cette réflexion qui permettra au formateur de jouer son rôle de modèle professionnel. Il s'agit en effet de ne pas oublier que chaque personne se forme en référence à des modèles et des contre-modèles. Vous avez certainement toutes et tous en tête des professionnels auxquels vous avez toujours voulu ressembler et d'autres auxquels vous ne voulez en aucun cas ressembler. Ces modèles et contre-modèles ont eu un rôle très important dans la construction de votre identité professionnelle. Il en va de même pour les étudiants que vous accompagnez. Imaginez, par exemple, que votre vision du rôle infirmier ne correspond pas du tout ou que partiellement à celui qui est véhiculé par le plan d'études cadre auquel sont soumis les étudiants que vous formez. Il y a fort à parier que vous les mettiez, involontairement en porte-à-faux par rapport aux compétences qu'ils doivent développer. Je vais prendre un exemple que je trouve particulièrement éclairant. Aujourd'hui, les étudiants apprennent à fonder leur pratique sur des données probantes, ou des résultats éclairés par des preuves (c'est selon!). Comment convaincre les étudiants de l'importance des preuves, des résultats de recherche, si ce n'est d'abord en les utilisant soi-même dans sa pratique. Aucun étudiant ne sera convaincu de cette importance s'il ne voit jamais les professionnels utiliser des résultats de la recherche. Autrement dit, le discours ne suffit pas s'il n'est pas soutenu par une pratique qui va dans le même sens. Autre exemple : si l'on enseigne aux étudiants les dimensions de l'étendue de la pratique infirmière (Déry et al. 2017), et que l'ensemble de ses cours et de ce qu'il observe dans la pratique des soins ne démontre pas l'une ou l'autre dimension, il y a fort peu de chances qu'il exerce son rôle dans une pleine étendue de pratique. Réfléchir à sa posture professionnelle est donc une première condition essentielle à un encadrement de qualité.


La deuxième réflexion essentielle concerne la posture relationnelle. Quelle relation souhaitez-vous entretenir avec les étudiants ? quel cadre relationnel mettez-vous en place ? Selon Meirieu (1996, pp. 67-70), le lieu d'apprentissage doit être un espace de sécurité qui permet à l'apprenant de faire, devant les autres, ce qu'il ne sait pas faire pour apprendre à le faire. Cet espace de sécurité doit donc être à la fois exigeant et bienveillant. La moquerie, la peur, voire la terreur, comme on l'a vu parfois, sont à bannir de tout espace de formation. Je me souviens de cet ouvrage de Valérie Auslander qui décrit, dans les hôpitaux français et dans les EPHAD, des climats de harcellement (sexuel ou moral) à frémir. Inutile de préciser que, dans de telles conditions relationnelles, l'étudiant n'apprend rien, si ce n'est à survivre. Une relation propice à l'apprentissage doit être empreinte de confiance mutuelle - l'étudiant doit pouvoir faire confiance à celui qui le forme pour pouvoir se tromper sans risquer d'être jugé et pour être certain qu'il sera traité équitablement au moment de l'évaluation et le formateur doit pouvoir "démontrer à l'étudiant qu'il a confiance dans ses capacités et ses ressources, ce qui ne veut pas dire tout accepter en matière de performance, bien au contraire." (Allin, 2022, p. 76). - de respect mutuel - même dans une relation asymétrique telle que la relation pédagogique, chaque personne doit traiter l'autre et être traitée avec respect. - d'ouverture - à l'autre et à ses différences - et de sécurité. Dans une telle relation, l'étudiant peut s'épanouir, apprendre et se développer. Ce que ma pratique m'a appris, c'est que les étudiants fragiles, insécures, sont plus facilement victimes de comportements inadéquats tels que la moquerie ou le harcellement. Réfléchir à sa posture relationnelle est une deuxième condition sine qua non à un encadrement de qualité.


La troisième réflexion concerne la posture pédagogique. Vous situez-vous dans une posture de transmission ou de construction des savoirs ? Les programmes de formation actuels s'inscrivent, pour la plupart, dans un paradigme socioconstructiviste et dans une approche par compétences, ce qui signifie que l'étudiant construit, en relation avec les autres, ses savoirs et ses compétences. Il est très facile d'être en accord avec cela sur un plan théorique, philosophique. Il est parfois plus difficile d'exercer son rôle de formateur et d'accompagner les étudiants dans cette perspective. La transmission (faire un exposé, montrer une technique) s'invite souvent dans la formation. Si elle n'est qu'une étape parmi d'autres dans l'apprentissage, elle a sa place. En revanche, si elle est la seule manière de concevoir la formation, alors elle est insuffisante et ne se situe pas dans un paradigme socioconstructiviste. Comment se situe-t-on dans ce paradigme ? En favorisant l'activité de l'étudiant : discuter d'un problème de soins, confronter des modèles entre eux ou dans une étude de cas, réaliser une évaluation clinique, élaborer une synthèse d'article scientifique et j'en passe. Dans n'importe quel setting pédagogique, que ce soit dans l'institution de formation ou en milieu clinique, on peut favoriser l'activité de l'étudiant. Réfléchir à sa posture pédagogique, autrement dit à sa conception de l'enseignement et de l'apprentissage, est une troisième condition à un encadrement de qualité.


Le corollaire de la posture pédagogique est la quatrième réflexion et elle concerne la posture d'évaluation. J'ai décrit, dans mon dernier ouvrage (Allin, 2022, pp 57-60), un continuum entre une posture centrée sur les forces (en m'inspirant de l'approche de Gottlieb sur les soins fondés sur les forces, 2014) et une posture centrée sur les faiblesses de l'apprenant. Ce continuum permet de s'interroger sur la posture que j'adopte, de manière privilégiée ou "naturelle", lorsque j'évalue les compétences d'un étudiant :


  • Est-ce que je mets tout en oeuvre pour que l'étudiant puisse montrer ce qu'il sait, ce qu'il maîtrise, ce en quoi il est compétent (posture centrée sur les forces)?
  • Est-ce que je mets tout en oeuvre pour trouver ce que l'étudiant ne sait pas, ne maîtrise pas, ce en quoi il n'est pas (encore) compétent (posture centrée sur les faiblesses)?


J'ai volontairement décrit un continuum car la question n'est pas binaire; la posture peut être nuancée et varier selon les situations, les moments. Toutefois, j'ai observé une tendance à se situer plutôt du côté des forces ou de celui des faiblesses selon les personnes évaluatrices. La réflexion que je propose consiste en une prise de conscience de son pôle privilégié et d'un développement de l'autre pôle. Pour celui qui a tendance à chercher les failles, les erreurs, il est important, de temps à autre, de se focaliser sur les forces de l'étudiants et de se laisser surprendre par tout ce qu'il sait ou sait faire qui a échappé. Pour celui dont la tendance est résolument du côté des forces, il peut être nécessaire de développer aussi sa capacité à repérer des erreurs ou lacunes importantes et de ne pas se laisser aveugler par certaines forces de l'étudiant pouvant cacher des lacunes conséquentes par ailleurs. L'évaluation gagnera en objectivité et en pertinence si le formateur s'exerce à développer son pôle moins présent.


Pour conclure, je dirais que le choix réfléchi de sa posture, dans les différentes dimensions mentionnées ci-dessus, est indispensable à l'acte de formation. C'est une réflexion essentielle à toute personne novice dans la formation, et c'est une réflexion qu'il s'agit de réactiver de temps à autre au cours d'une carrière de formateur. Sans cette réflexion régulière, la pratique peut s'appauvrir et se rigidifier au fil du temps.


Une question ? une réflexion ou une expérience à partager ? N'hésitez pas à utiliser le formulaire de contact. Je vous répondrai personnellement ou ferai de votre réflexion un nouveau billet.  



Références


Allin, A.C. (2022).Bien maîtriser ses gammes pour improviser, fondements et innovations pédagogiques en formation infirmière.Lausanne : La Source.


Auslander, V. (2017).Omerta à l'hôpital, le livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé.Paris : Michalon.


Déry, J., D’Amour, D. & Roy, C. (2017). L’étendue optimale de la pratique infirmière, une contribution essentielle à la performance du système de santé. Repéré à:

https://www.oiiq.org/sites/default/files/uploads/periodiques/Perspective/vol14no01/11-recherche.pdf


Gottleb, L.N. (2014). Les soins infirmiers fondés sur les forces. Montréal : ERPI.


Meirieu, P. (1996).Frankenstein pédagogue.Paris : ESF.